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L'application
à l'Afrique des techniques agricoles naturelles
Reverdir le désert
Un entretien avec Masanobu Fukuoka
[1986], par Robert et Diane Gilman
Traduction française : Michel
Dussandier Nov. 1997
[ version
originale ]
Masanobu Fukuoka est un autre de ces
pionniers de l'agriculture "du long terme" (sustainable) qui se sont rendus
à là 2ème conférence internationale de PermaCulture..
Nous nous sommes entretenus avec lui alors qu'il visitait la "Abundant
Life Seed Foundation" de Port Townsend à Washington, quelques jours
avant qu'il ne présente sa conférence.
Il aime dire de lui qu'il n'a aucune
connaissance hormis celle contenue dans ses livres, dont La révolution
d'un seul brin de paille (Chez Trédaniel - Editions de la Maisnie,
1983) et The Natural Way of Farming, démontrant ainsi qu'il
ne manque pas de sagesse.. Sa méthode d'agriculture ne nécessite
pas de labour, pas de fertilisants ni de pesticides, pas de désherbage
ni d'élagage ainsi que très peu de travail! Il accomplit
tout cela (y compris des rendements élevés) grâce à
une extrème précaution dans la détermination de la
période de semis tout comme dans le choix des combinaisons de plantes
(polyculture). En résumé, il a élevé l'art
du travail avec la nature à un très haut degré de
raffinement..
Il décrit comment on peut appliquer
ses méthodes d'agriculture naturelle aux zones désertiques
de la planète, et ceci sur la base de son expérience en Afrique
en 1985. Katsuyuki Shibata et Hizuru Aoyama ont aidé à la
traduction [anglaise] de cet entretien.
Robert: Qu'avez-vous appris durant
ces 50 ans de travail sur ce que les gens peuvent faire avec leur agriculture?
Masanobu: Je suis un petit homme,
comme vous pouvez le voir, mais je suis venu aux Etats-Unis avec un grand
but. Ce petit homme devient de plus en plus petit, et ne va pas durer très
longtemps, et je voudrais donc partager mes idées de 50 ans. Mon
rêve est comme un ballon. Il peut devenir de plus en plus petit, ou
il peut devenir de plus en plus gros. Si cela pouvait être dit d'une
manière brève,Cela se dirait comme le mot "néant".
Mais cela pourrait secouer la terre entière
Je vis sur une petite montagne, faisant
ma ferme. Je n'ai aucune connaissance. Je ne fais rien. Ma façon
de faire de l'agriculture est de ne pas cultiver, de ne pas fertiliser,
et de pas utiliser de produits chimiques. Il y a dix ans, mon livre One
Straw Revolution [La révolution d'un seul brin de paille], a
été publié aux USA par Rodale Press. De ce moment
je ne suis plus parvenu à simplement dormir dans les montagnes.
J'ai pris un avion pour la première fois de ma vie il y a sept ans
et je suis venu à Boston, en Californie, à New York City.
J'ai été surpris parce que je pensais que les Etats-Unis
étaient un pays très vert, mais il m'est apparu comme
une terre morte.
J'ai ensuite parlé de mon agriculture
naturelle au responsable du département des désert des Nations
Unies. Il m'a demandé si mon agriculture naturelle pouvait changer
le désert d'Irak. Il m'a dit de déveloper un moyen pour faire
reverdir le désert. J'ai pensé à ce moment que je
n'étais qu'un pauvre fermier sans pouvoir ni connaissances, et je
lui ai dit que cela m'était impossible. Mais à partir de
ce moment j'ai commencé à penser que ma tâche est de
travailler sur le désert.
J'ai voyagé à travers l'Europe
il y a quelques années. Il m'a semblé que l'Europe était
très belle, et avait beaucoup de zones naturelles préservées.
Mais à cinquante centimètres sous la surface, j'ai senti
le désert arriver lentement. Je me suis demandé pourquoi.
J'ai réalisé que c'était dû à l'erreur
qu'ils faisaient dans l'agriculture. Les débuts de cette erreur
sont dans l'élevage de la viande pour les rois et du vin pour l'eglise.
A l'entour, ce ne sont que troupeaux, troupeaux, troupeaux, vigne, vigne,
vigne. L'agriculture Européenne et Americaine a commencé
avec des troupeaux qui paturent et des vignes qui poussent pour les rois
et l'église. Ils ont changé la nature en faisant cela, tout
particulièrement sur les flancs des collines.L'érosion des
sols apparaît alors. Seuls les 20% du sol des vallées restent
sains, et 80% de la terre est épuisé. Puisque cette terre
est épuisée, ils ont besoin de fertilisants et de pesticides
chimiques. L'agriculture des Etats-Unis, de l'Europe, et même du
Japon, a commencé en retournant la terre. Cultiver est aussi lié
à la civilisation, et c'est là que commence l'erreur. Dans
la vraie agriculture naturelle, on ne cultive pas, on ne laboure pas. L'utilisation
de tracteurs et d'outils détruit la vraie nature. Les plus grands
ennemis des arbres sont la scie et la hache. Les plus grands ennemis du
sol sont la culture et le labour. Si les gens n'avaient pas ces outils,
ce serait meilleur pour tout le monde.
Puisque ma ferme n'est pas cultivée,
n'utilise pas de fertilisants ou de produits chimiques, de nombreux animaux
et insectes y vivent. Ils utilisent les pesticides pour tuer un certain
type de nuisibles, ce qui détruit l'équilibre de la nature.
Si nous parvenons à nous en passer, une nature parfaite reviendra.
Robert: Comment avez-vous appliqué votre méthode aux déserts?
Masanobu: L'agriculture chimique
ne peut changer le désert. Ils ne peuvent le faire même avec
un tracteur et un gros système d'irrigation. J'ai réalisé
que l'agriculture naturelle est indispensable pour que le désert
retourne à la verdure. La méthode est très simple.
Semez simplement quelques graines dans le désert. Voici la photo
d'une expérience en Ethiopie. Cette zone était très
belle il y a 90 ans, et elle ressemble maintenant au désert du Colorado.
J'ai donné les semences pour 100 variétés de plantes
aux gens en Ethiopie et en Somalie. Les enfants ont planté les graines,
et les ont arrosées pendant trois jours. La température élevée
et l'abscence d'eau ont fait que les racines ont rapidement plongé
dans le sol. Les radis Daikon poussent maintenant à cet endroit.
Les gens pensent qu'il n'y a pas d'eau dans le désert, mais même
en Somalie et en Ethiopie, ils ont une grande rivière. Ce n'est
pas qu'il n'y a pas d'eau. Cette eau se trouve juste sous la terre. On
trouve l'eau entre 2 et 4 mètres de profondeur.
Diane: Vous utilisez l'eau juste
pour la germination, puis vous laissez les plantes se débrouiller?
Masanobu: Dix jours ou un mois après,
elles ont encore besoin d'eau, mais il ne faut pas trop les arroser, pour
que les racines descendent profondément. Il y a des gens en Somalie
qui ont maintenant un jardin personnel. Le projet a démarré
avec l'aide de l'UNESCO et beaucoup d'argent, mais il n'y a aujourd'hui(1986)
qu'un couple de personnes qui s'occupe de l'expérience. Ces jeunes
gens de Tokyo ne connaissent pas grand chose à l'agriculture. Je
pense qu'il est mieux d'envoyer des graines aux gens de Somalie et d'Ethiopie,
plutôt que leur envoyer du lait et de la farine, mais il n'y a pas
de moyen de leur en envoyer. Les gens de Somalie et d'Ethiopie peuvent
semer des graines, ce dont même les enfants sont capables, mais les
gouvernements Africains, les Etats-Unis, l'Italie, la France n'envoient
pas de graines, mais seulement de la nourriture et des vêtements.
Les gouvernements Africains découragent les jardins personnels et
la petite agriculture. Les graines pour jardin sont devenues rares durant
les 100 dernières années.
Diane: Pourquoi ces gouvernements
font-ils ainsi?
Masanobu: Les gouvernements Africains
et le gouvernement des Etats Unis veulent que les gens ne fassent pousser
que cinq ou six variétés de café, de thé, de
coton, pour l'exportation et pour faire de l'argent. Les légumes
ne sont que de la nourriture, ils ne rapportent pas d'argent. Ils disent
qu'ils vont fournir le maîs et le blé pour que les gens n'aient
pas besoin de faire pousser leurs propres légumes.
Robert: Avons-nous aux Etats-Unis
le type de graines qui pourrait correctement s'acclimater à ces
régions d'Afrique?
Masanobu: De fait, j'ai vu ce matin
dans cette ville (Port Townsend) de nombreuses plantes dont des légumes,
des plantes ornementales et des céréales qui pousseraient
dans le désert. Des plantes comme les radis Daikon, ou d'autres
variétés comme l'amarante (amaranth ndt) ou des plantes
grasses poussent même mieux là-bas que dans mes champs.
Robert: Donc si les gens aux
Etats-Unis, au Japon et en Europe veulent aider les gens en Afrique, et
réduire le désert, suggèreriez-vous qu'ils y envoient
des graines?
Masanobu: Quand j'étais en
Somalie, j'ai pensé que s'il y avait 10 fermiers, un camion et des
semences, il serait alors très facile d'aider les gens de l'endroit.
Il n'ont pas d'herbe pendant la moitié de l'année, ils n'ont
pas de vitamines, et tombent évidemment malades. Ils ont même
oublié comment manger les légumes. Ils mangent juste les
feuilles mais pas la partie comestible des racines.
Je suis allé à l'Olympic
National Park hier. J'ai été très surpris et j'en
ai presque pleuré. Là, Le sol était vivant! La montagne
ressemblait au lit de Dieu. La forêt semblait vivante, ce que vous
ne trouvez même pas en Europe.. Les arbres de Californie et les prairies
Françaises sont superbes mais c'était bien le plus beau!
Les gens qui vivent par ici ont de l'eau, du bois de chauffage et des des
arbres. C'est comme le Jardin d'Eden. Si les gens sont vraiment heureux,
cet endroit est une vraie Utopie.
Les gens dans les déserts n'ont
qu'une tasse, un couteau et une marmite. Certaines familles n'ont même
pas un couteau, et doivent couper leur bois à coups de rochers et
le transporter sur des kilomètres. J'étais très impressionné
par cette belle région, mais j'avais au même moment mal au
coeur en pensant aux gens du désert. La différence est la
même qu'entre le paradis et l'enfer. Je crois que le monde en arrive
à un point très dangereux. Les Etats-Unis ont le pouvoir
de détruire le monde, mais aussi d'aider le monde. Je me demande
si les gens de ce pays se rendent compte que les Etats-Unis aident les
gens en Somalie mais sont aussi en train de les tuer. Ils leurs font cultiver
du café, du sucre et leur donnent de la nourriture. Le gouvernent
Japonais fait la même chose. Il donne des vêtements et
le gouvernement Italien donne des macaroni. Les Etats-Unis veulent en faire
des mangeurs de pain. Les gens en Ethiopie cuisinent le riz, l'orge et
les légumes. Ils sont heureux en restant des petits agriculteurs.
Le gouvernement des Etats-Unis leur dit de travailler, travailler comme
des esclaves dans une grande ferme, en cultivant du café. Les Etats-Unis
leur disent qu'ils peuvent faire de l'argent et devenir heureux de cette
manière. Un professeur japonais, un collègue, a dit après
avoir visité la Somalie et l'Ethiopie que c'était l'enfer
sur terre. J'ai dit "Non, c'est l'entrée du paradis". Ces gens n'ont
pas d'argent, pas de nourriture, mais ils sont très heureux. Ils
sont heureux parce qu'ils n'ont pas d'écoles ni de maîtres.
Ils sont heureux lorsqu'ils transportent de l'eau, lorsqu'ils coupent du
bois. Ce n'est pas une chose, difficile pour eux, ils aiment vraiement
faire cela. Il fait très chaud entre midi et trois heures, mais
sinon il y a du vent, et il n'y a pas de mouches ou de moustiques.
Les gens aux Etats-Unis, plutôt que
d'aller dans l'espace, pourraient ensemencer les déserts depuis
la navette spaciale. Il y a beaucoup de compagnies de semences affiliées
à des entreprises multi-nationales. Ils pourraient ensemencer à
partir d'avions.
Diane: Si l'on jetait les graines
ainsi, les pluies seraient-elles suffisantes pour les faire germer?
Masanobu: Non, ce n'est pas assez,
donc je sèmerai des graines enrobées pour éviter qu'elles
se déssèchent ou qu'elles soient mangées par les animaux.
Il y a probablement différentes manières d'enrober les graines.
Vous pouvez utiliser de la terre, mais il faut que cela colle, ou utiliser
du calcium.
Ma ferme a de tout: des arbres fruitiers,
des légumes, des acacia. Comme dans mes champs, il faut tout mélanger
et semer au même moment.J'ai pris dans les 100 variétés
d'arbres greffés là, deux de chaque, et la plupart, dans
les 80%, y poussent maintenant. La raison pour laquelle je dis d'utiliser
un avion, c'est que pour tester, vous utilisez juste une petite zone. Mais
pour faire reverdir une grande zone, tout ceci doit être fait en
une seule fois! Vous devez mélanger les arbres et les légumes;
c'est le moyen le plus rapide pour réussir.
J'ai une autre raison pour proposer d'utiliser
l'avion: Il faut les semer vite parce que s'il les zones vertes de la planète
diminuent encore de 3%, toute la terre va mourrir. Les gens ne seront pas
heureux à cause du manque d'oxygène/ Vous vous sentez heureux
au printemps grace à l'oxygène des plantes. Nous aspirons
l'oxygène et expirons le gaz carbonique, et les plantes font l'inverse.
Les êtres humains et les plantes n'ont pas seulement des relation
de nourriture, mais ils partagent aussi l'air. Ainsi le manque d'oxygène
en Somalie n'est pas seulement un problème à cet endroit,
mais aussi un problème ici. Tout le monde va ressentir l'épuisement
rapide des sols dans ces régions d'Afrique. Cela arrive très
vite. Il n'y a a pas de temps à perdre. Nous devons faire quelque
chose maintenant.
Les gens en Ethiopie sont heureux avec
le vent et la lumière, le feu et l'eau. Pourquoi les gens ont-ils
besoin de plus? Notre tâche est de pratiquer l'agriculture à
la manière de Dieu. Ce pourraît être un moyen de commencer
à sauver ce monde.
Publication originale dans IN
CONTEXT #14, Automne 1986, Page 37
Copyright
(c)1986, 1997 by Context Institute
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